LIBÉRATION | 19 January 2018

Signe Pierce has been profiled by French outlet  Libération for her involvement in Virtual Normality – Women Net Artist’s 2.0 at Museum der bildenden Künste Leipzig (article in French).


Art / Signe Pierce, âge de réseaux

By Jérémy Piette

La Net artiste présente ses créations à Leipzig. Une exposition qui interroge, au travers d’œuvres de «digital natives», l’essor des outils numériques. Visite guidée via Instagram.

Signe Pierce démarre une vidéo live sur Instagram le 12 janvier. On est là, à lorgner par l’œilleton digital, par hasard, entre diverses stories et images scrollées à l’infini. L’artiste américaine – révélée sur YouTube avec sa vidéo American Reflexxx en 2013 – évoque sa reconnaissance envers le musée des Beaux-Arts de Leipzig qui a décidé d’accueillir, sous le curatoriat d’Anika Meier et Sabrina Steinek, une exposition intitulée «Virtual Normality, Women Net Artists 2.0». Treize artistes femmes dont la pratique s’inspire de l’essor des réseaux sociaux, remettent en question et jouent des archétypes et constructions du corps (social, genré, sexuel).

«Nous sommes le reflet de l’ère du numérique, rarement considérées comme artistes car nos œuvres ont naquît et se sont affirmées grâce et sur les réseaux sociaux. Je trouve ça incroyable d’être accueillie dans une véritable institution» affirme Signe Pierce, une rose posée contre les lèvres, tandis qu’elle se tient debout dans une luxuriante chambre rose, son installation Big Sister’s Lair. En face d’un lit habillé d’une couette imprimée d’un œil géant, sa présence est directement captée par un système de surveillance qui lui renvoie son image. Cette installation intéractive en chambre intimiste pourvue d’appareils connectés donne au visiteur la possibilité de méditer sur les espaces personnels touchés par l’omniprésence d’outils capables d’enregistrer nos moindres gestes, des amants de plasma qui nous font nous demander : «Sommes-nous vraiment seuls ?»

Big Sister – alter ego de Signe Pierce – se démarque de son frère, le Big Brother de George Orwell et sa dystopie 1984 : si ce dernier représente l’armada de systèmes de surveillance dans nos sociétés technocratiques pour citoyens exemplaires, la sœur féministe surveille son frère qui regarde les autres. Pour Big Sister, le virtuel engage, non pas à refuser la prolifération des outils numériques, mais au contraire à mieux les apprivoiser et à s’en emparer afin de donner voix aux minorités oppressées. De nouvelles identités dégagées des diktats de l’hétéronormativité sont à affirmer. Face au téléphone, Pierce poursuit en direct la visite guidée de l’exposition, évoquant sa performance réalisée la veille. Elle y déclamait un texte inspiré dans les cinq premières minutes des keynotes de Steve Jobs sur les percées des nouveaux médias. Du même bravado, elle alternait entre voix de fillette candide et ton robotique obtenu grâce à un vocoder, jouant des paroles de l’homme Apple «pour une vie meilleure», déclamant les capacités des outils numériques capables de faire entendre les minorités. La suite du speech, «techno poems»précise-t-elle, annonce : «Protège : les personnes qui ne te ressemblent pas […] Protège : les personnes qui ne baisent pas comme toi.»

D’autres œuvres de digital natives – enfants du numériques – nous sont présentées. Entre deux glitchs, on entrevoit les photographies de Leah Schrager, dotée elle aussi depuis 2015 d’un alter-ego Instagram nommée Ona qui aime à penser qu’elle a «popularisé le méta-selfie». Des clichés aux allures de feed-back vidéo la présentent, entre autres, avec une perche à selfie se capturant nue, mais l’infini mise en abyme occulte ce sexe que l’on ne saurait voir.

Pierce nous emmène aussi dans l’excellente installation Slide to Expose co-conçue par Molly Soda, Nicole Ruggiero et le collectif berlinois Refrakt. Une autre chambre se présente là, chargée d’objets en tout genre : posters, habits, sous-vêtements, jetés ou posés. Les visiteurs peuvent, au moyen de leur téléphone et d’une application téléchargée gratuitement, les faire vivre dans une expérience de réalité augmentée : comme ce Leonardo DiCaprio aux yeux rougis – périodeRoméo + Juliette – qui se met à pleurer des signes et caractères en tout genre tandis que certains êtres animés n’existent qu’au passage des téléphones allumés. Sous l’écran glacé, se dessine toute une intimité numérique, un microcosme des possibles pour celles et ceux qui bâtissent leur identité sur la Toile, et à Signe Pierce de signer avant de fermer son live : «WE ARE ALL BIG SISTERS.»

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